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Avec Hôtel Singapura, Eric Khoo rend un hommage flamboyant au cinéma asiatique

L’année est exceptionnelle pour le jeune cinéma singapourien avec deux films sélectionnés à Cannes, Apprentice de Boo Junfeng à Un Certain Regard, l’Oiseau d’or de Kesavadas Rajagopal à la Semaine de la Critique, et aujourd’hui, la sortie en salles d’Hôtel Singapura de son chef de file, Eric Khoo.

Le titre anglais, In the room, certainement la chambre numéro 27, exprimait bien l’atmosphère intime de votre film. Devenu, Hôtel Singapura, ce nouveau titre éveille la curiosité sur l’existence réelle de cet établissement…

ERIC KHOO. Il s’appelait en fait « The Seventh Storey Hotel » quand il a été construit dans les années 50, c’était l’immeuble le plus haut de Singapour. A cette époque lorsqu’on regardait par les fenêtres on voyait la mer. Maintenant, on voit des autoroutes. C’était un grand hôtel mais dans les années 1990, il a été déclassé parce qu’il y avait pas mal de prostituées et il a été détruit en 2008. Je l’aimais beaucoup parce qu’il avait un style Art Déco. C’était très beau. Mais surtout cet hôtel a vécu beaucoup d’histoires, d’abord dans les années 50-60 lorsque Singapour a connu un âge d’or du cinéma avec les Frères Shaw (la Malay Film Production) et le groupe Cathay. Les films étaient tournés avec des acteurs essentiellement malais par des réalisateurs indiens. C’était un très gros business et l’Hôtel était le lieu préféré des gens de cinéma. Sur le toit, il y avait un bar très chic avec l’air conditionné où des filles chantaient. Il y en avait une fameuse qui venait de Hong-Kong. Ma productrice qui en est originaire et mon coscénariste, Jonathan Lim, avons voulu rendre hommage au Singapour très bigarré de cette époque. D’où la deuxième histoire du film avec les filles « éduquées » par une Mama-San interprétée par Josie Ho, actrice chinoise de Hong-Kong, absolument époustouflante.

En effet Hôtel Singapura conte l’épopée de la cité-Etat qu’est aujourd’hui Singapour à travers six histoires de style différent selon les temps évoqués…

ERIC KHOO. Le film commence après un siècle et demi de domination britannique lorsque l’île est soumise au Japon en 1942. C’est une intrigue homosexuelle entre un anglais qui doit quitter la place fasciné par un homme asiatique. J’ai filmé cette histoire dans le style de l’époque, en noir et blanc. Dans la deuxième histoire, celle des filles, on peut voir à quel point le Technicolor donne un ton à l’action même, aux mouvements, à la sexualité exacerbée et dominatrice de ces filles. La musique prend alors son importance comme dans le Singapour de cette période.

Si la deuxième histoire est un clin d’œil à Rose Chan, la troisième est un hommage à Damien Sin (1), à qui vous avez dédié Hôtel Singapura. Vous faites aussi référence à Chia Thye Poh, ce militant communiste qui a passé vingt-trois ans de sa vie en prison, de 1966 à 1989, lorsque vous montrez sa photo dans un journal dans l’ultime histoire. Est-ce qu’en ouvrant la porte de la chambre 27, vous nous faites découvrir des souvenirs mais aussi des personnalités oubliées ?

ERIC KHOO. Bien sûr, nous avons totalement oublié qu’il y a eu un mouvement rock’n roll très important à Singapour dans les années 60. Lorsqu’il est dit dans la troisième histoire que nos chanteurs vendaient plus de disques que les Beatles, c’est complètement vrai. Mon plus grand défi était que chacun des personnages de mes histoires soient représentatifs telles des icônes de l’époque sans être caricaturaux. Les acteurs d’Hôtel Singapura viennent de partout, de Malaisie, de Hong-Kong, de Corée, du Japon et ne s’expriment pas toujours très bien en anglais, c’est pourquoi chacun parle dans sa langue dans le film. J’ai tourné en studio dans seulement deux chambres desquelles nous devions changer les décors dans leurs moindres détails, les costumes, les atmosphères selon les personnages et les époques filmés. Nous avons travaillés quasiment jour et nuit pendant dix jours. Dans l’urgence, avec la chaleur et les moustiques. Mais cela a été finalement un « voyage » fabuleux. Tous les acteurs sont très suggestifs. lorsque l’on voit par exemple dans la deuxième histoire ce qu’est capable d’exprimer Josie Ho, elle personnalise à elle seule tout le cinéma de Hong-Kong.

Hôtel Singapura est aussi un hommage aux réalisateurs asiatiques, évoquant dans certaines séquences Wong Kar-wai et dans d’autres Tsai Ming-liang…

ERIC KHOO. Absolument, il y a des connections entre tous ces pays, toutes ces cultures et toutes ces esthétiques cinématographiques. Nous avons écrit le scénario en anglais et il a fallu le traduire en coréen ou en japonais, nous avons perdus au cours de la traduction dans les dialogues et il était plus difficile de tout contrôler mais l’essentiel pour moi était que les acteurs parlent et jouent d’une manière réaliste. Je préfère collaborer avec des acteurs de façon à ce qu’ils se sentent bien dans leurs rôles et dans leurs langues. C’est pourquoi le film est un puzzle mais j’ai constaté que le public était très content.

Hôtel Singapura est un vrai feu d’artifice de tous les genres de sexualité. homosexualité, prostitution, partie avec musique, drogue et alcool, adultère, transsexualité, un amour-amitié dans la dernière histoire qui se termine par un étonnant orgasme digne d’une histoire de Damien Sin.

ERIC KHOO. Absolument, lorsque je montre mon film dans les festivals asiatiques, cette dernière histoire plait beaucoup aussi parce que le jeune acteur coréen, Choi Woo-shik, est très connu par la télévision et qu’il vient de jouer dans Dernier train pour Busan de Yeon Sang-ho. Effectivement, cette ultime histoire teintée de nécrophilie aurait pu être écrite par Damien Sin et me rappelle mon premier film de fiction, Mee Pok Man, montré à Moscou en 1995.

En 1997, après votre deuxième film, 12 Storeys, sélectionné à Cannes dans la section Un Certain Regard, vous vous êtes arrêté de réaliser pendant sept ans pour commencer à produire des œuvres de jeunes réalisateurs singapouriens…

ERIC KHOO. C’était pour me sentir moins seul… Je vis dans un tout petit pays de la dimension d’une ville comme Paris ou New York et je ressentais le besoin de faire quelque chose pour la jeune génération. Produire Royston Tan (15, en 2003, 4.30 en 2006 ou 881 en 2007), Gilbert Chan (23.59 en 2012 et Ghost Child en 2013) ou Boo Junfeng (Sandcastle en 2009 et Apprentice montré au dernier festival de Cannes) m’a donné beaucoup de satisfaction. De même que je suis ravi que le CNC français ait aidé financièrement Kesavadas Rajagopal pour réaliser son premier long métrage, l’Oiseau d’or, sélectionné à la Semaine de la Critique cannoise cette année. Nous sommes nés tous les deux en 1965 et avons commencé à réaliser des courts métrages pratiquement en même temps mais lui a beaucoup travaillé au théâtre, en tant qu’acteur.

Par la suite, tous vos films ont été montrés à Cannes, que ce soit Be with me, à la Quinzaine des Réalisateurs en 2005, My Magic, tourné en tamoul, le premier film singapourien en compétition en 2008 et Tatsumi, un film d’animation inspiré par la vie du grand créateur de manga japonais, Yoshihiro Tatsumi, présenté à Un Certain Regard en 2011…

ERIC KHOO. On peut dire que j’ai tout essayé. Cela vient du fait que depuis l’exclusion de Singapour de la Fédération des états de Malaisie et la proclamation de la République en 1965, curieusement l’année de ma naissance, tout était à faire en matière de cinéma. Car avec la crise qui a suivi, Lee Kuan Yew, qui était premier ministre depuis 1959, a sacrifié les arts, le cinéma en particulier et la censure est devenue de règle.

Une copie restaurée de Mee Pok Man vient d’être restaurée et projetée dans un cinéma de Singapour. Qu’en est-il de la censure aujourd’hui.

ERIC KHOO. Lee Kuan Yew est décédé l’an dernier, il avait démissionné en 1990 après trente-et-un ans de pouvoir mais il était toujours présent et considéré comme le père fondateur de la nation. Maintenant c’est son fils, Lee Hsien Loong qui est premier ministre. Nous sommes en plein népotisme. J’ai réussi néanmoins à ne rien couper dans Hôtel Singapura mais après de très longues et très dures discussions. Par exemple, la prostitution est légale à Singapour mais le pouvoir n’aime pas qu’on l’évoque dans un film montré aux quatre coins du monde. Quand j’ai présenté 15 de Royston Tan que j’avais produit au Media Development Authority, il a fallu faire vingt-sept coupes. Nous avons moins de problème actuellement qu’il y a une dizaine d’années. Je peux même dire qu’aujourd’hui, il y a une dynamique qui est en marche dans le cinéma singapourien. J’ai tout fait pour mettre en place la Singapour Film Commission copiée sur le modèle français de l’avance sur recettes et j’essaye de pousser les jeunes cinéastes à réaliser des films. Je dirais même que la période est assez excitante.

(1) Damien Sin est né en 1965 et décédé en 2011 à Singapour, à 46 ans d’une overdose. Ecrivain, poète, musicien et chanteur, il est le scénariste du premier long métrage d’Eric Khoo, Mee Pok Man, adapté de son roman, One Last Cold Kiss, in Classic Singapore Horror Stories. Book 2, 1994.