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Pitchfork, le baromГЁtre de la scГЁne indГ©

The Flaming Lips

Licence Creative Commons / http://www.flickr.com/photos/23715055@N04/

Le week-end dernier se tenait Г Chicago le Pitchfork music festival. Trois jours de rock indГ© proposГ©s par l'intransigeant magazine en ligne du mГЄme nom, qui a contribuГ© Г faire Г©merger des groupes comme Arcade Fire ou Clap Your Hands Say Yeah. Rencontre avec Ryan Schreiber, fondateur de Pitchfork.

Dans la rame de métro, on les reconnaît au premier coup d'œil. chemises à carreaux, lunettes à grosse monture, tatouages, jeans serrés ou pantacourts, barbes (pour les garçons), Vans ou Converse, tatouages décoratifs. Comme les fans de metal ou de rock gothiques, les afficionados d'indie rock (rock indépendant) ont leurs signes distinctifs. Et en cet après-midi un poil maussade, tous se rendent au Union Park de Chicago, pour la 4e édition du Pitchfork music festival. Pitchfork. Tout simplement le magazine en ligne de référence dès qu'il s'agit de musique rock, pop, folk ou encore electro échappant aux carcans des majors. Un magazine dont les critiques aussi bien enthousiastes que parfois très sévères influent de plus en plus sur la carrière d'un disque. Arcade Fire, Clap Your Hands Say Yeah, Broken Social Scene, pour ne prendre que ces quelques exemples, n'auraient sans doute pas émergé si vite, ou même pas émergé du tout, si une excellente critique de Pitchfork n'avait pas attisé la curiosité des internautes - et des autres journalistes.

Pendant trois jours, Pitchfork proposait donc une bel échantillon de la vitalité de cette scène indé, avec des artistes comme Tortoise, The Jesus Lizard, Yeasayer, The Black Lips, Beirut, Lindstrøm, Japandroids, Grizzly Bear, M83 ou encore The Flaming Lips. Pas de grosse révélation (à part peut-être The Very Best. mélange ultra-frais et énergique de musiques électronique et africaine), mais le plaisir d'évoluer dans un festival à taille humaine où le public, assez détendu, pouvait déambuler entre deux concerts dans un mini-village associatif (associations caritatives, écolo, pro-choix. ), une allée dédiée aux créateurs de posters de rock, et un marché du disque neuf et d'occasion où le support vinyle dominait largement. Et où on en a profité pour rencontrer Ryan Schreiber, le fondateur de Pitchfork, qui en préside toujours les destinées.

Vous avez fondé Pitchfork en 1996. Quelle était votre idée, à ce moment-là ?
J'avais simplement l'envie d'écrire sur la musique indépendante, et de créer un outil en ligne pour cela, parce qu'à l'époque il n'y avait rien du tout. On cherchait Fugazi, The Replacements ou Sonic Youth sur le Web, et on trouvait à peine trois réponses. Il y avait donc une niche à remplir. Beaucoup de mes amis de Minneapolis, d'où je suis originaire, étaient dans la culture fanzine, à base de photocopies. Ils faisaient des interviews de groupes comme Bikini Kills, Babes In Toyland, ils imprimaient 50 ou 100 exemplaires, et les faisaient circuler. Moi, je venais de découvrir le Web grâce à un ami, j'ai vu que c'était facile de créer un site, et je me suis dit que je pourrais toucher peut-être un peu plus de monde. J'ai commencé à demander aux labels de disques des entretiens par téléphone de 15 minutes. Pour eux, c'était tellement nouveau. Certains n'avaient même pas d'adresse email.

Vous imaginiez déjà qu'Internet allait bouleverser l'industrie du disque ?
Personne ne pensait que ça allait changer les choses de manière aussi profonde. Mais pour moi c'était clair qu'Internet avait un avenir en termes de publication, c'était beaucoup plus efficace et moins coûteux que l'impression papier. Aujourd'hui, cela semble évident, mais on ne pensait pas encore qu'Internet allait s'imposer autant, quitte à détruire entièrement le media papier, comme ça a l'air d'être le cas.

“En 2004, il me semble que l'on a eu un impact
dans les débuts fulgurants de la carrière d'Arcade Fire.”

A quel moment avez-vous réalisé que Pitchfork devenait le media le plus influent de la génération digitale ?
Je m'en suis aperçu après que ce soit arrivé. C'est toujours assez difficile de savoir quelle part nous revient dans le succès d'un groupe. On peut faire savoir que l'on aime un groupe, parce qu'il est intéressant et qu'il propose des choses nouvelles, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il sera remarqué. En 2004, il me semble que l'on a eu un impact dans les débuts fulgurants de la carrière d'Arcade Fire ; mais il y avait déjà un buzz autour d'eux, et je pense que ce groupe serait devenu populaire de toute façon, quelque soit ce que Pitchfork aurait écrit sur eux. Je pense qu'ils étaient destinés à devenir le groupe qu'ils sont aujourd'hui.

Mais y a-t-il vraiment un effet Pitchfork, comme l'a écrit le magazine Wired en 2006 ?
Je pense que si l'expression est restée, c'est qu'il y a une part de vérité. Mais je ne veux pas en tirer trop de mérite, parce que pour moi, c'est le groupe qui fait tout. s'il est bon, il aura le succès qu'il mérite. Simplement, ce qui fonctionne avec Pitchfork, c'est que les gens aiment notre goût et qu'ils savent qu'on va leur faire découvrir des choses que sans nous ils ne connaîtraient pas.

Qu'est ce qui fait une bonne critique de disque à Pitchfork ?
C'est lorsque que l'on lit des choses qui ne nous étaient pas venues à l'esprit avant, qui nous permettent ensuite d'envisager un disque d'une manière un peu différente. La plupart du temps, on n'a pas besoin d'avoir des talents d'écriture incroyables pour communiquer des idées intéressantes. Les gens qui écrivent des critiques pour Pitchfork viennent tous du journalisme. Il y avait un temps où ce n'était que des gens comme moi, sans formation, qui écrivaient juste pour l'amour de la musique. C'est toujours la principale motivation, mais désormais les contributeurs du site ont plus d'expérience, ils ont parfois collaboré au New York Times. au Village Voice. à des magazines plus installés comme Fader. Blender. Spin. Aujourd'hui, l'équipe de Pitchfork est composée de seize personnes à plein temps, partagés entre nos bureaux de Chicago et de Brooklyn, et il y a quarante ou cinquante pigistes, aux Etats-Unis, en Angleterre, ou au Canada, qui écrivent d'une à six critiques par mois.

L'échelle de notation de ces critiques est très pointilleuse. les disques sont notés de 0,0 à 10,0 et toutes les valeurs décimales sont utilisées !
Au début, on voulait juste se distinguer des autres publications, en proposant un degré de précision. qui confine au ridicule. Ce n'est évidemment pas scientifique, et même si c'est un peu absurde, on tient à cette valeur décimale. A la fin, cela n'a de toute façon que la valeur d'une opinion individuelle.

“C'est génial qu'il y ait tant de gens aussi investis
dans la musique que nous le sommes.
Il y a un temps où nous étions les seuls à écrire
sur les artistes émergents.”

Pitchfork a inspiré beaucoup d'autres blogs musicaux. Comment jugez-vous la façon dont ils se sont développés ces dernières années ?
J'adore, je lis une tonne de blogs par jour, et j'y découvre plein de trucs. C'est génial qu'il y ait tant de gens aussi investis dans la musique que nous le sommes. Il y a un temps où nous étions les seuls à écrire sur les artistes émergents. Cela veut dire qu'aujourd'hui, un groupe sera forcément un peu remarqué et sera l'objet d'un regard extérieur, et pas forcément celui de Pitchfork. Personnellement, je lis Stereogum. Gorilla vs. Bear. Largehearted Boy. MBV.

Dans ce contexte, les magazines comme Rolling Stone ou Spin ont-ils encore une place ?
J'ai grandi avec Spin. à l'époque, c'était le magazine musical le plus pertinent et le plus dynamique. Mais comme Rolling Stone. ce sont devenus des vieux croûtons, et c'est assez triste de voir combien ils ont mal tourné. Mais c'est aussi un cycle naturel, il y a toujours des nouvelles voix qui émergent, et si on ne fait pas un vrai effort pour continuer à s'intéresser à la musique – notamment dans son aspect le plus morderne –, on baisse forcément. Moi, j'ai 33 ans et j'ai la chance de ne pas être encore devenu blazé. Je ne considère pas encore la musique d'avant comme meilleure que celle d'aujourd'hui, ce serait plutôt le contraire. C'est trop facile d'enjoliver le passé !

Pitchfork pourra-t-il rester indépendant ?
C'est sûr que l'on devient plus “mainstream” que l'on aurait imaginé l'être. Certains blogs nous voient désormais comme un site établi, et pourtant nous avons encore la même approche de la musique qu'eux. Le fait que l'on soit devenu influent les agace, et je peux le comprendre. Mais d'un point de vue financier, on restera toujours indépendant, il n'est pas question de se vendre à quiconque. Spin, par exemple, a eu je ne sais combien de propriétaires depuis que Bob Guccione Jr l'a fondé dans les années 80. Le changement de directions et de rédacteurs en chef lui a fait perdre sa voix. D'un magazine, c'est devenu un business model. Pitchfork a bien sûr besoin d'argent pour survivre et grandir, mais pas aux dépens de notre intégrité, et il n'est pas question de laisser entrer des investisseurs dans le capital. On refuse pas mal de propositions publicitaires et de sponsoring qui ne nous plaisent pas, et on perd beaucoup de revenus potentiels. Mais si on acceptait tout, on perdrait aussi pas mal du respect que les lecteurs peuvent nous porter. C'est important de ne pas se laisser corrompre.